[Entrevue avec Achdé, l’illustrateur des Lucky Luke pour CAMPAGNE POUR LA LECTURE.]
Anabelle : Expliquez-nous comment s’est passé la succession entre M. Morris (le créateur de Lucky Luke) et vous?
Achdé : En fait, je dis toujours aux jeunes, le train passe toujours au moins une fois dans votre vie. Pour ma part, il est passé plusieurs fois, j’ai eu de la chance, et j’ai pris le bon arrêt. Je faisais déjà de la BD professionnellement depuis quand même 10-15 ans quand un jour on m’a proposé de travailler sur un album collectif en hommage à Morris et à son oeuvre. Comme j’aimais beaucoup Lucky Luke et que c’était un rêve de gamin, j’ai accepté et je leur ai dit « Mais est-ce que je peux dessiner Lucky Luke? », ils ont fait la demande et comme c’était un hommage à Morris ils ont dit oui. Donc, j’ai fait 4 planches où j’ai dessiné Lucky Luke et j’ai essayé de m’appliquer pour que ça ressemble le plus. C’était très mal dessiné, mais ça fait rien parce que Morris a trouvé ça pas si mal, à un tel point que 6-8 mois plus tard j’ai reçu un coup de fil et on me demandait de reprendre les aventures de Rantanplan en strips [une histoire en une seule bande].
Je dis toujours aux gens, je ne suis pas le nouveau papa, il n’y en a qu’un. Moi je suis le parrain, mais rien à voir avec Marlon Brando (rire), je suis quelqu’un qui va accompagner Lucky Luke simplement le temps que je pourrai. J’essaie de bien l’animer, d’offrir des aventures pour petits et grands. Ça fait déjà plus de 10 ans et maintenant ce qui commence à être bizarre c’est que j’ai des lecteurs qui n’ont connu que moi. Il y en a qui sont adultes et viennent me dire « Je vous lis depuis que je suis petit ! » et donc là ça m’énerve beaucoup (rire) !
C’était très schizophrénique au début, je m’installais pour dessiner dans mon atelier, je voyais des Lucky Luke partout et j’arrivais pas à coller que maintenant c’est moi qui faisais ça. C’était très bizarre, j’avais encore une attitude de lecteur et de fan.
Anabelle : Est-ce que ça vient avec une certaine pression?
Achdé : Au début oui c’est évident, parce qu’on se pose beaucoup de questions du pourquoi et comment, par exemple est-ce que Morris aurait fait la même chose?. Il y avait une pression énorme, j’étais attendu. C’était le premier héros majeur qui était repris, ça n’avait jamais eu lieu et c’était un événement dans le monde de la BD. Pour le premier Lucky Luke, tout le monde m’attendait avec un fusil de chasse et un tank, et j’avais peur de telle sorte que j’avais demandé à ce qu’on ne me donne pas de chiffres de vente ni de publication. Je ne voulais rien savoir. J’avais dit : « Je fais le boulot et je vous le donne. Ensuite vous me dites ç’a marché ou ça n’a pas marché. ». On avait déjà eu un petit indicateur parce que j’avais déjà fait un premier petit album – c’est pour ça que je dis toujours que j’ai fait 6 albums et demi ! – qui avait été glissé en cadeau avec un album de Morris et Goscinny. Les gens avaient trouvé ça bien, mais ils n’avaient rien dit, c’est-à-dire qu’ils avaient même pas noté que c’était pas d’eux. C’était plutôt bon signe, car ils avaient l’impression que c’était un bon Lucky Luke et la seule critique qu’il y avait eu c’était « Un Lucky Luke inconnu de la bonne période de Morris. ». Donc voilà, pour le premier grand album, ça s’est bien passé, ç’a été un véritable succès commercial, les critiques touchaient surtout l’histoire, mais rien en lien avec le dessin.
Anabelle : Avez-vous souvent remis en question votre travail, vos dessins?
Achdé : Je me pose moins de questions quand je dessine maintenant, ça va mieux. J’ai plus d’aisance et je me permets des choses que Morris ne faisait pas graphiquement. Ça veut pas dire que je change le style, mais je commence à sortir des sentiers battus et je me permets peut-être des choses que Morris n’aurait pas faites.
Anabelle : Et on vous accorde toujours cette liberté?
Achdé : Oui oui, parce que ça ne dénature pas le personnage, que je ne change pas les personnages principaux, l’état d’esprit ou la morale. On peut toujours discuter de certaines choses, par exemple est-ce qu’il boit encore de la bière ou pas, mais par contre je respecte toujours la mission de cigarette.
Anabelle : Comment ça a commencé votre relation avec le dessin?
Achdé : J’ai commencé à lire très très jeune le journal de Spirou. Je me suis mis à copier les illustrations parce que j’aimais bien le dessin, donc ça s’est fait tout naturellement. Puis, comme j’aimais dessiner, mais surtout raconter des histoires (en dessin), c’était très différent. Quand ma mère est décédée, j’ai découvert un carton où elle avait conservé tous mes dessins d’enfant. Il y en avait un que j’avais fait à 4 ans (elle les avait tous datés), j’avais dessiné ma mère de dos en train d’éplucher une pomme de terre. Ça ressemblait vraiment à une dame et on voyait même dépasser le couteau, car j’avais compris que pour raconter l’histoire, on devait voir un peu ce couteau. Et pour compléter, j’avais fait une épluchure de pomme de terre qui faisait toute la table et qui continuait et ça c’était mon premier gag. En fait, dès le départ, il fallait que je raconte quelque chose qui me fasse marrer. Je me souviens de ma mère qui s’est retournée, a regardé le dessin et m’a dit « Mais c’est toi qui as fait ça? ». J’ai regardé autour de moi, je ne voyais pas ce qu’elle voulait dire ! Elle est allée montrer mon dessin à mon dessin à mon père et je me rappelle que ça l’avait frappée.
Anabelle : Quel serait votre ultime objectif professionnel?
Achdé : Laisser un bon souvenir (rire). Si à la fin de ma vie professionnelle des gens viennent me dire « On a bien aimé ce que vous avez fait » ou « J’ai appris à lire avec un de vos Lucky Luke», je pourrai dire que j’ai réussi ma carrière. Mon métier (illustrateur et auteur), je dirais que c’est une notion de partage, on fait pas ça pour soi. Un peintre ne fait pas des tableaux pour les garder chez lui, ça n’a aucun intérêt. Pour moi c’est pareil, le but c’est de partager mon art avec mes lecteurs. Aussi, j’aimerais un jour en réussir un album complet, dessin et scénario. Un autre objectif que je me suis juré d’accomplir, c’est illustrer un livre pour enfants, pour les petits enfants. J’attendrai peut-être que mes fils me fassent des petits enfants et à ce moment-là je me déciderai à le faire !
Les tontons Dalton, par Achdé, Gerra & Pessis
Quel doux moment de nostalgie que j’ai eu en lisant la nouvelle BD de Lucky Luke. De prime abord, je ne remarquais pas de différences entre ma collection complète en reliure édition spéciale (oui monsieur !) et ce nouveau tome sous le crayon de Achdé. Pourtant, en portant une attention particulière aux livres de chacun, je remarque finalement que les deux illustrateurs ont leur style bien à eux. Achdé a un trait beaucoup plus soigné, est soucieux des détails et a un style plus proportionnel lorsqu’il illustre les personnages tandis que Morris avait tendance à aller dans l’exagération (très gros visages, nez, mentons, corps, dents, etc.) et à avoir un style plutôt brut et oldies. Dans les deux cas, leur travail est exceptionnel et singulier, mais surtout très consécutif. Achdé a vraiment réussi à amener Lucky Luke au goût du jour sans toutefois le changer ni dénaturer, comme promis.
On passe un bon moment, on ressent le même plaisir que lorsqu’on était enfant, on la lit d’un seul coup et on rigole bien.
Les tontons Dalton
Achdé, Gerra & Pessis, d’après Morris
Éditions : Lucky Comics, 2014
ISBN : 9782884713580
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