Comment commencer ce billet? Vingt fois sur le métier j’ai remis mon ouvrage, et les mots pour le dire n’arrivent toujours pas aisément. Pourtant je ne perds pas courage, car il y a des « découvertes qui sont comme des trésors. Et c’est encore plus merveilleux quand on les partage ! ». Et le trésor dont je veux vous parler c’est Pomelo, dont sont tirés ces mots de Ramona Badescu, son auteure, habilement illustrés par son second auteur Benjamin Chaud. Si j’ai tellement de mal à trouver les mots justes c’est parce que Pomelo c’est l’expression du sensible, l’indicible, le moment où la poésie doit prendre le relais, ce sont les nuances de sentiments, les rouges orangés, les bleus verts, les verts de gris, les gris roses. Roses comme Pomelo.
La grande aventure de Pomelo
Mais laissez-moi vous replacer le cadre : Pomelo est un petit éléphant rose, si petit qu’il tient sous un pissenlit. Pomelo est bien sous son pissenlit, (titre du premier opus paru en 2002)… jusqu’à ce qu’un jour, habité par une force incoercible, il commence à s’aventurer hors de son cocon confortable, quelques pas d’abord, puis de grandes enjambées, toujours plus loin multipliant les rencontres, les réflexions, les questions, les découvertes arrivant au constat, plus de quinze ans et presque autant d’albums plus tard, que « plus il découvre, plus il a envie de découvrir ».
Dès lors difficile, de choisir un album parmi cette immense pérégrination, car voyez-vous, Pomelo est tout de même allé jusque de l’autre côté de son jardin ! Et plus loin : il a voyagé… mais surtout Pomelo n’a cessé de se remettre en question, de s’émerveiller de tout, d’affronter ses peurs, d’aller vers l’inconnu, mais aussi de construire ses repères, d’accepter les contradictions, de faire des pas qui semblent infimes, mais qui sont en réalité des pas de géants.
Autant donc profiter de la récente sortie de Pomelo découvre pour se plonger ou se replonger dans les aventures de Pomelo. Peu importe qu’il s’agisse du dernier album paru à ce jour, ils peuvent se lire indépendamment les uns des autres ou se lire les uns à la suite des autres. Même s’il existe pourtant un fil de narration dans toute la série, les auteurs se sont départis d’un certain sens de lecture pour privilégier ce qui fera sens et sensation pour le lecteur.
Pomelo découvre
Pomelo découvre est une bonne entrée en matière pour ceux qui auront la chance de rencontrer Pomelo pour la première fois, un condensé réussi de son aventure où l’on ressent toute la poésie qui sous-tend le cheminement de Pomelo depuis ses débuts, les questionnements, les déconvenues, les grands bonheurs, la douceur, l’humour, les moments essentiels que l’on retrouve dans chaque livre. Pour les autres, vous y percevrez un certain nombre de clins d’œil aux albums précédents et le sentiment que peu à peu Pomelo s’est construit sa propre histoire.
Mais pour l’heure Pomelo part en promenade avec son amie Stela : « il a soudain comme une envie d’une promenade. Une promenade pour écouter le son du vent et voir le paysage changer ». Dans chaque page de cette promenade règne une harmonie entre les illustrations douces et délicates, faussement naïves, et des textes à fleur de peau pour exprimer toute la sensibilité du voyage. Je ne veux pas vous dévoiler toutes pépites de l’album, mais comment ne pas être ému par de telles promesses : « ils laissent leurs pas faire le chemin et le chemin guider leurs pas ».
Sur ce chemin Pomelo fera donc plusieurs découvertes des petites et des grandes, « que la vie est une multiplication », des matérielles et des sentimentales, « plus il s’éloigne de Stela, plus il pense à elle ! », des agréables et des décevantes « des réalités qu’on n’a pas envie de découvrir » mais toutes essentielles. Et si, comme vous le savez l’essentiel est invisible pour les yeux et ne se voit bien qu’avec le cœur, c’est bien cette corde-là que font vibrer les deux auteurs à l’unisson.
Une belle alchimie entre poésie, profonde sagesse et humour ! Comment évoquer les sens sans celui de l’humour? Pour preuve, cette double page où Pomelo fait l’expérience des différences d’angles de vue : représenté tête en bas, accroché à la branche d’un arbre, en admiration devant un magnifique papillon, il découvre « qu’à l’endroit et à l’envers les choses ne sont pas tout à fait les mêmes », puis, la branche casse ! Notre héros se retrouve alors risiblement affalé sur le sol devant le regard amusé du papillon, réalisant « que chaque découverte a une conséquence. Et que la gravité fait mal » !
Une gravité qui ne dure pas. Vous l’aurez compris, Pomelo est une allégorie de l’enfant qui grandit, qui laisse aller ses sens pour découvrir le monde, ses contradictions et « que les émotions changent parfois à la vitesse des nuages ».
Les émotions comme des nuages
La force de Pomelo, et ce pourquoi je vous invite à poursuivre la découverte au-delà de cet album, c’est que Pomelo arrive à exprimer cette palette d’émotions nébuleuses qui nous bouleversent, enfant et adulte, en se mélangeant parfois, les joies immenses mêlées au chagrin, l’envie empêtrée dans la peur, la nostalgie ou même encore la paranoïa, ces sentiments compliqués, emberlificotés comme lorsque l’on doit juste glisser « un mot dans le doux creux d’une feuille de pissenlit. Un mot qui dit aime, tristesse, et aussi partir, mais dans un seul mot »… Pomelo donne subtilement une matérialité à ce monde sensible et ces émotions en se faisant le miroir de nos âmes, un miroir accessible et perceptible pour l’enfant.
C’est une résonnance qui se fait grâce à la poésie des textes et des images, l’utilisation des métaphores, bien plus efficaces que de longues explications, mais aussi grâce aux silences… Ces silences précieux que nous ménagent les deux auteurs, dans l’articulation des textes, dans la ponctuation, dans la pureté d’une phrase, dans l’espace incolore que laissera l’illustrateur pour nous laisser imaginer nos propres couleurs, dans une fin de livre qui n’est pas une fin, ces silences volontaires pour laisser la place au « je », un espace comme un présent, pour qu’images et textes s’impriment et s’expriment, résonnent et raisonnent chez les lecteurs, les invitant à apporter leurs propres interprétations.
Dès lors je vous invite tous à prendre place à bord du Pomelo express, que vous ayez 2 ans ou 102 ans, que vous soyez emporté par la beauté d’un morceau de verre poli par le sable dont l’éclat est révélé par le passage de la mer, ému par une bogue de châtaigne desséchée au fond d’une poche rappelant un souvenir de l’automne dernier, joie et pleurs un premier jour d’école ou encore d’humeur métaphysicienne adepte des c’est où nulle part, c’est quoi « longtemps », est-ce la lumière qui s’allume ou l’obscurité qui s’éteint, le chemin à la fin du chemin, est-ce encore Le chemin?…
Bienvenus au pays de Pomelo et ses merveilles, car si j’ai évoqué le Petit Prince, il y a bien du Lewis Carrol aussi dans ce voyage initiatique dont vous serez bien libre d’inventer le sens en toute sensibilité.
Quelques conseils pour aller plus loin
Pour les plus petits, à partir de 2-3 ans il existe plusieurs albums dédiés comme : Pomelo et ses contraires ou Pomelo et les formes. Des imagiers drôles et délicats pour aborder ces premières notions élémentaires.
Et pour les plus grands
◆ Aborder des notions comme la métaphore, comment recourir à l’image pour expliquer ce que l’on ressent?
◆ Philosopher avec Pomelo se demande, laisser libre-court à toutes les interrogations, organiser une réunion de mini-Socrates : notre héros, à force de questionnements ne devient-il pas un spécialiste de l’art de la maïeutique? D’ailleurs n’y a-t-il qu’une réponse à chaque question ou doit-on répondre à toutes les questions?
◆ S’interroger sur ce que ça signifie de grandir, avec Pomelo grandit, est-ce qu’on grandit uniformément, combien de temps ça prend, est-ce que ce n’est pas toujours le petit de quelqu’un, est-ce que ça fait peur, qu’est-ce qu’on a à y gagner, à y perdre, c’est quoi grandir, c’est quoi vieillir…?
◆ Et un dernier, mais il y a tant de pistes à explorer, avec Pomelo voyage, laisser la place à l’imagination, du jeu au Je : où va Pomelo? Est-ce un si grand voyage? que pourrait-il découvrir, quelles embuches pourrait-il rencontrer?
En outre, cet opus exprime très bien, et surement parce que Ramona Badescu, en a elle-même fait l’expérience, le fait d’être l’étranger quelque part, de perdre ses repères de devoir conquérir une nouvelle langue. Une langue, des langues, pour lire, pour dire, pour partager, pour voyager avec ou sans Pomelo, mais toujours plus loin.
Pomelo découvre
Ramona Bădescu et Benjamin Chaud
Editions : Albin Michel, 2018
ISBN: 9782226186164
Lisez également : Je suis en retard à l’école parce que… une histoire rocambolesque
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