Dans quelques jours, ce sera l’Halloween. J’ai toujours aimé me déguiser, me promener dans les rues pour collecter une tonne de bonbons, et bien sûr – surtout – avoir le grand plaisir de les manger goulûment. Enfant, tout le voisinage se rassemblait pour la collecte des bonbons. Mon voisin préparait sa remorque pour nous accueillir : les balles de foin faisaient office de sièges alors que la toile bleue, que nous avions décorée durant la journée, nous protégeait des intempéries le soir venu. Une fois le crépuscule tombé, notre voisin tirait notre carrosse de fortune avec son tracteur. Il y avait, autour de ce moment, quelque chose d’indubitablement festif et de rassembleur.

Si on creuse un peu plus, l’Halloween n’est pas seulement une célébration entre voisins. Cette fête précède la Fête des morts, qui selon les sources et les pays, serait le 1er ou le 2 novembre. On l’oublie parfois. Cette omission traduit-elle notre inconfort généralisé envers la mort? Peut-être bien que si… Ainsi, réfléchir à la mort et à la célébration des morts me paraît être une façon tout à fait originale de discuter de l’Halloween avec les (plus grands) enfants.

L’année dernière, j’ai rencontré une créatrice multidisciplinaire audacieuse qui invitait les spectateurs à participer à une grande fête des morts dans un spectacle à mi-chemin entre le théâtre, le conte et l’installation. Dans le spectacle Les grands-mères mortes, Karine Sauvé célèbre trois grands-mères un brin excentriques, incontestablement charmantes, bref inoubliables. Il faut une certaine dose de courage pour traiter de ce sujet avec un jeune public et encore plus pour nommer son spectacle Les grands-mères mortes. Il faut dire que ce titre frappe l’imaginaire. Je propose donc de vous présenter la démarche de cette créatrice hors pair, dans un premier temps, et de vous présenter, par la suite, le livre La fête des morts de Dany Laferrière, accompagné de quelques pistes de discussion sur le sujet.

Pourquoi parler de la mort avec les enfants?

Nous sommes lundi matin. J’effectue une visite de supervision dans la cadre du programme de Techniques en éducation à l’enfance. Un enfant entre dans le local et annonce une grande nouvelle : « Son poisson est mort. ».

La vie et la mort sont des réalités inextricables. On meurt, parce que l’on vit et on vit parce que l’on meurt. La mort est partie intégrante du cycle de la vie. Dès notre plus jeune âge, on est confronté à cette réalité. On ne peut y échapper comme en témoigne l’anecdote rapportée plus haut. Les enfants et les adultes se sentent parfois démunis devant cette réalité et surtout devant les questions qu’elle suscite. Dites-moi, pourquoi faut-il mourir?

Penser la mort à partir de vie est une première piste de réflexion féconde. Nous savons que tous les humains, les animaux et les plantes vont mourir. Notre conscience de cet état de fait nous pousse à nous questionner. La mort peut-elle avoir un sens? Peut-elle donner un sens à notre vie? Et si on en profitait pour vivre pleinement? Plusieurs albums pour la jeunesse permettent alors de dédramatiser la mort en montrant qu’il ne s’agit pas d’un événement triste lorsqu’elle conclut une vie enrichissante et authentique. Réfléchir à la mort ouvre une réflexion sur le sens que l’on accorde à sa vie.

La fête des mortsEn effet, la mort marque la fin du cycle de la vie, mais il s’agit généralement de la conclusion d’une longue vie. Bien que cette fin inévitable puisse engendrer son lot d’angoisse chez les enfants, le fait qu’elle arbore un caractère lointain peut aussi être rassurant. Elle nous rappelle, à l’instar de notre ami philosophe Snoopy, que maintenant nous ne mourrons pas. C’est donc également un appel à célébrer la vie.

Il n’y a aucun doute que la perte d’un être cher vient nous bousculer. Cette absence et ce vide viennent nous plonger dans une grande tristesse. Toute la question du deuil est alors une seconde piste de réflexion intéressante sur le sujet. Ces questions peuvent venir alors enrichir notre réflexion sur le sujet : « La mort marque-t-elle le terme de l’existence? Peut-on faire vivre une personne dans nos souvenirs, dans nos rêves ou encore dans notre esprit? Comment peut-on célébrer les morts?  ».

Karine Sauvé s’est inspirée de nombreux rites funéraires de différents endroits sur la planète et de différentes époques pour créer une grande fête des morts bien personnelle. C’est après avoir appris le décès de sa grand-mère, alors qu’elle était en France pour le travail (et ne pouvait donc pas assister aux funérailles de celle-ci), que Karine créa le spectacle Les grands-mères mortes qui a été présenté à Ottawa et à Montréal l’hiver dernier. Karine souligne ainsi la mort – mais surtout la vie – de sa grand-mère ainsi que celle de deux autres « grands-mères » qu’elle a connues. Dans son spectacle, Karine enfile un manteau de poil pour regarder le documentaire préféré de Simone portant sur Koko le gorille qui parle. Elle crée un sandwich improbable en l’honneur de Lucille qui aimait échanger ses créations culinaires contre des câlins. Elle nous fait danser avec Thérèse et ses compagnes personnifiées par de longues mèches de cheveux. Karine célèbre ainsi la poésie de la vie, les petits et grands bonheurs qui se nichent dans notre quotidien, et surtout, les liens qui nous unissent toutes et tous.

Pour terminer, je lui laisse présenter sa démarche :

Vous pourriez vous aussi vous inspirer des intérêts ou encore des habitudes des êtres chers décédés pour célébrer leur souvenir. Votre grand-père était un mordu de mots croisés? Votre grand-mère passait tous ses temps libres les deux mains dans la terre à jardiner? Votre arrière-grand-mère collectionnait les timbres? Découvrez ce qui animait ces personnes et faites-en le point de départ de votre fête de morts !

La fête des morts de Dany Laferrière

Dany Laferrière, tout comme Karine Sauvé, croit nécessaire de parler de la mort avec les enfants. Selon lui, les enfants sont des poètes et des philosophes :

La mort est un sujet que les enfants peuvent comprendre bien, tant aux plans poétique que philosophique. Ils ont du temps pour penser à ça, ils n’ont pas de factures dans la tête, moins d’angoisses que nous… 

Il ajoute que :

[…] La mort occupe une place importante dans la vie, surtout celle des enfants, mais on ne prend pas vraiment le temps de leur expliquer ce qui s’est passé. On se contente de dire que grand-mère est partie, qu’elle ne reviendra plus. Pourtant, quand on parle sérieusement aux enfants, on réalise qu’ils ont compris beaucoup de choses. 

(L’article intégral ici)

La fête des mortsDans son album pour la jeunesse, La fête des morts (Les Éditions de la Bagnole), Laferrière initie les jeunes lecteurs aux célébrations entourant la fête des morts observées dans le petit village de son enfance. La vie et la mort ne peuvent être pensées séparément. Alors que Vieux Os se rend au cimetière, il rencontre Vava dont il tombe follement amoureux. C’est le coup de foudre ! Autour de lui virevoltent des papillons, ces mêmes papillons qui se posent sur les yeux des êtres chers qui nous ont quittés.

Les dialogues entre le jeune garçon et sa grand-mère viennent ajouter une touche de tendresse nécessaire pour aborder ce sujet délicat. Finalement, les illustrations colorées et vibrantes de Frédéric Normandin mettent l’accent sur le caractère vivifiant de cette journée qui pourrait, à première vue, sembler plutôt funeste.

Se dégourdir les neurones !

Parce que la mort fait partie du quotidien des enfants et parce qu’il s’agit d’une question infiniment complexe, je vous propose d’amorcer des dialogues philosophiques avec les enfants sur ce sujet. Demandez d’abord aux enfants de formuler les questions qui émergent à la suite de la lecture du récit. Voici quelques questions et pistes de réflexion qui peuvent vous guider lors de l’animation de la délibération philosophique faisant suite au texte de Laferrière.

La fête des morts

—   Pourquoi faut-il mourir?
—   Pourquoi la mort fait-elle peur?
—   La mort peut-elle avoir un sens? Peut-elle donner un sens à notre vie?
—   La mort marque-t-elle le terme de l’existence ?
—   Peut-on faire vivre une personne dans nos souvenirs, dans nos rêves ou encore dans notre esprit?
—   Comment peut-on célébrer les morts?
—   Qu’est-ce qui rend la mort moins triste?

Avoir recours aux extraits du livre peut faciliter la discussion en instaurant une certaine distance entre l’expérience personnelle des enfants et le concept plus philosophique de la mort. Voici donc quelques extraits pertinents :

Extrait 1, p.4 : 

VIEUX OS : Ce serait extraordinaire, Da, si on pouvait savoir la date de sa mort. On ferait ce qu’on voudrait puisqu’on saurait que ce n’est pas encore le moment.
DA : Crois-moi, tu t’ennuieras vite, Vieux Os… C’est mieux la surprise. 

Extrait 2, p. 5 : 

VIEUX OS : Da, je ne te vois jamais en sueur comme moi.
DA : Tu montes la pente de la vie, Vieux Os. Moi, je la descends. Il ne faut pas que j’arrive trop vite en bas. 

Extrait 3, p. 41-42

DA : On meurt, Vieux Os, quand il n’y a plus personne sur terre pour se rappeler ton nom.
VIEUX OS : Tu ne mourras jamais, Da, car je me souviendrai toujours de toi.

La fête des morts
Dany Laferrière & Frédéric Normandin
Éditions : De la Bagnole, 2009
ISBN : 9782923342276

Pour vous lancer dans une discussion philosophique des plus riches, procurez-vous cet album dès maintenant ici :

Last modified: 7 janvier 2016

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