Pour surfer sur la vague des discussions concernant la question du genre et des stéréotypes filles-garçons, réflexion déjà entamée sur le blogue (lisez CE BILLET ou encore CELUI-CI), voici une héroïne qui n’a pas peur de défier les préjugés et d’afficher sa singularité. Aussi petite que son caractère est affirmé, il s’agit d’Adèle, de la série de bandes dessinées Mortelle Adèle créée par Antoine Dole alias Mr Tan.
Portrait d’une héroïne anti clichés
Fillette rousse, coiffée de couettes, vêtue de son inusable jupette et accompagnée de son chaton bébé lion Ajax, Adèle se joue de tous les clichés pour mieux balayer toutes les représentations de la petite fille que la société a longtemps souhaité dessiner si sage. Adèle renverse les codes, jette des pavés dans la mare et éclabousse : de l’image surannée d’une Martine à l’école jusqu’à nos préoccupations actuelles de bienveillance avant tout (mon Graal personnel !), Adèle l’affirme dès la première page : J’aime PERSONNE. J’aime pas TOUT LE RESTE.
Mortelle Adèle est une soupape à notre bonne volonté d’apparaître comme des parents, des professeurs, des grands-parents… modèles, assortis d’enfants bien éduqués, polis, équilibrés… Adèle autorise ses jeunes lectrices et lecteurs, mais aussi ceux qui les accompagnent à relâcher la pression, à admettre que nous ne sommes pas toujours des êtres si bien pensants et heureusement. Heureusement car, déjà, dans la bande dessinée Mortelle Adèle, cela crée des situations hyper cocasses qui sont à mourir de rire, mais aussi parce que cela apporte un regard critique nécessaire sur le monde. En cela le personnage d’Adèle fait penser à une Mafalda. Comme elle, notre héroïne a été affublée par ses illustratrices, Miss Prickly puis Diane Le Feyer, d’une grosse tête (bien remplie) sur un petit corps et, à l’instar de son homologue argentine, Adèle s’interroge beaucoup : sur les relations humaines, sur la société, sur l’environnement… Mais là où une Mafalda pourra rendre un hommage vibrant à mère Nature en la chérissant et en enlaçant les arbres, Adèle la testera, vérifiera la théorie de la gravité en balançant sans aucune hésitation son chaton par la fenêtre pour mettre à l’épreuve les lois selon lesquelles les chats retombent toujours sur leurs pattes.
Attention, aimer Adèle comporte des risques
Adèle envoie valser les idées reçues de son air grognon et de son humour féroce. Elle met à rude épreuve ses parents, et ça commence avec la figure paternelle sur laquelle s’ouvre le premier tome Tout ça finira mal : face à un papa qui s’escrime à montrer toute sa puissance et sa virilité devant un bocal de cornichons qu’il ne parviendra finalement pas à ouvrir Adèle conclue, iconoclaste, « bravo papa, à cause de toi je ne crois plus au Prince charmant…».
Adèle est innocemment insolente, quand la maîtresse lui demande de venir au tableau, elle s’excuse presque « Non merci ! Je vois très bien d’ici ».
Adèle est cruelle avec ses camarades d’école, « tous des nazes » et plus particulièrement avec son amoureux qu’elle garde parce que c’est toujours bon d’avoir quelqu’un à torturer sous la main.
Adèle dit tout haut ce qu’elle pense tout bas : s’adressant à la coiffeuse « Vous avez déjà griffé une joue avec vos ciseaux? […] pourtant, un accident pourrait vite arriver : ces ciseaux sont très pointus et je gigote beaucoup ! ».
Adèle a des convictions féministes : sa mère « Ma chéééérie, j’ai fait des cookies ! » et Adèle de lancer « sais-tu que des femmes se sont battues pendant des siècles pour ne plus avoir à prononcer ce genre de phrases ? » avant de se saisir goulument dudit gâteau…
Faire la différence
Adèle est donc redoutablement attachante, déjà par son illustration très réussie et parce que c’est une petite fille qui réfléchit, qui bouscule, qui refuse le diktat de la poupée Barbie (qui la fait cauchemarder la nuit) et qui affirme à tous les enfants qu’ils ont la liberté d’être eux-mêmes. Parce qu’elle rassure ses lectrices et lecteurs, aussi bizarres qu’ils puissent être, sur cet accompagnement bienveillant que peuvent avoir les adultes. Ses parents représentés beaux, lisses et parfaits sont souvent pris au dépourvu de son étrangeté, parfois furieux, mais jamais ne la rejettent. Elle se revendique même comme nécessaire à leur bien-être, pour sûr, sans elle, ses parents passeraient leur temps à manger des légumes, travailler et s’ennuieraient ferme.
Adèle, Mafalda, Yoko et les autres…
Mortelle Adèle est un premier pas vers la lecture de BD mais c’est aussi une figure féminine indispensable dans ce style de littérature où la femme est régulièrement un personnage secondaire et souvent sexualisée. Adèle m’évoque ces héroïnes de BD auxquelles je me suis identifiée enfant puis adolescente, c’est la cousine de la plus politique Mafalda, la petite sœur de Yoko Tsuno, femme forte, sensible, indépendante et électronicienne de génie. C’est encore la nièce, d’une autre héroïne éponyme, Adèle Blanc Sec, détective privée aventureuse. C’est aussi un premier chaînon jusqu’à des albums pour déjà plus grands comme celui des Culottées Tome 1 et Tome 2 de Penelope Bagieu qui a retracé le parcours de femmes édifiantes et dont sous-titre se passe de commentaire : des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent…
Et le ketchup ça compte?
Mortelle Adèle est une série de bandes dessinées que je conseillerais à partir de 7 ans lorsque l’enfant commence à lire seul. Les dessins sont très parlants et les gags se déroulent souvent sur quatre cases ce qui est vraiment l’idéal pour les jeunes lecteurs et lectrices. Les blagues peuvent être lues indépendamment les unes des autres, les albums sont ainsi très agréables à feuilleter pour tous.
Héroïne féminine, Mortelle Adèle s’adresse aux filles comme aux garçons, mon fils me pique tous mes albums (oui, MES albums, j’assume). Je le retrouve riant tout seul des frasques de cette héroïne (dont la teneur des bêtises doit rendre les siennes bien inoffensives) qu’il nous raconte au moment des repas. Il profite, alors, à travers les mots d’Adèle, de nous dire tout haut, ce qu’il pense tout bas : « tu sais maman, quand Adèle apprend qu’il faut manger 5 fruits et légumes par jour, elle demande à sa maman : et le ketchup, ça compte? ». Je me demande bien où il veut en venir…
Bonne lecture ! (Et pour reprendre le titre du dernier tome d’Adèle : Big bisous baveux.)
Pour aller plus loin avec Mortelle Adèle :
Adèle a son site web JUSTE ICI et sa page facebook PAR LÀ !
Et sur la question des héroïnes dans l’histoire de la BD, deux articles très intéressants ICI et ICI.
Mortelle Adèle
Mr Tan & Miss Prickly
Éditions : TOURBILLON
Dès 7 ans
Pour vous procurer les livres qui ont été présentés dans le billet, cliquez ici :