La figure de la fée, bonne, clochette ou marraine, aura colonisé l’imaginaire de bien des fillettes, pour le meilleur et pour le pire. Aujourd’hui, malmenée par sa rivale sorcière, emblème féministe par excellence, elle peine à se réinventer, ou, plus précisément, à se doter d’une force émancipatrice nouvelle. À vrai dire, il est regrettable que sorcières et fées endurent une symétrie qui les désunit si scrupuleusement. Heureusement, une réconciliation identitaire entre ces deux canons archétypaux est scellée par le doux album La fée sorcière de Brigitte Minne, illustré par le tendre dégradé de rouge de Carll Cneut et sorti du four de l’école des loisirs en 2000, mais réédité en 2017.

La fée sorcière : la grande traversée identitaire

La fée sorcière - l'école des loisirsBien sûr, dramatiquement, la fée s’introduit dans l’histoire dans sa version ultra satinée, incarnant la politesse ennuyeuse des robes impecs et des étiquettes proprettes. Il le faut, pour apprécier le contraste avec la petite Marine que le désir fiévreux de devenir sorcière démange au point de quitter le confort de son château pour aller arpenter, seule, les territoires jouissifs de la liberté. Pas étonnant que le féminisme réussit si habilement à récupérer la figure de la sorcière, fée affranchie de ses devoirs de bienséance, véritable force brute trop souvent niée aux fillettes. Ces sorcières, on les dit entêtées, obstinées, tapageuses, effrontées, pour ne pas dire libres. Sur ce continuum ensorcelé, Marine passe doucement de la fée égarée à la sorcière migrante, portant ses nouveaux habits avec justesse. Seule ombre au tableau, l’approbation et la présence des pairs.

La fée sorcière - l'école des loisirs

La relation mère-fille : le nid et l’envol

Féministe sans le crier, pour la beauté du geste, ce ravissement graphique fait bien plus que subvertir les contes, il introduit une rare complexité dans la trame des relations mère/fille, trop souvent purifiée dans la littérature jeunesse. Marine aime sa maman, ce qui ne l’empêche pas d’aimer des choses que sa maman n’aime pas. Malgré l’amour maternel, force soi-disant inaliénable, la gamine têtue accepte de tout quitter, obstinément tirée par un urgent besoin de renaitre et pressée de voir ce que la vie sous le ciel des sorcières a à lui offrir. Cette plongée littéraire enchanteresse raconte aussi, muettement, le voyage d’une mère en territoire inconnu. Résolue, par la force des choses, à entendre ce qui fait tant vibrer sa fille, la mère vole vers elle, envers et contre tous ses préjugés. Au cœur de la forêt sombre des liens familiaux, un rare et touchant moment de solidarité mère/fille se déploie. C’est à la faveur de la nuit, fauve et sans frontières, que ces deux âmes différemment sculptées se rencontrent et s’enlacent finalement, pour la seconde fois de leur existence. Ici, ce n’est pas l’enfant qui amorce la réconciliation, c’est le parent qui, réalisant son erreur, doit le rejoindre là où il le croyait fautif. Pour le lecteur adulte, cette leçon de parentalité nous arrache timidement l’aveu d’un deuil, celui de ne pas avoir un semblable comme enfant. Rapidement, ceci conduit au constat réjouissant d’avoir à faire la rencontre d’un autre, merveilleusement différent, heureusement unique.

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Au final, la petite Marine, plus mature que tête dure, ne souhaite pas renoncer à sa féérique personne. Elle veut tout et elle l’aura. Car, plus que la somme de ses parties, c’est de cet heureux mélange, de ce montage sur-mesure et terriblement réjouissant de son identité qu’émerge la sérénité. En se décrétant fée sorcière ou, parfois fée, parfois sorcière, au gré des jours et des humeurs, Marine réconcilie les mondes tranchés de la mère et de la fille, accomplit le geste créatif d’être soi-même.

La fée sorcière
Brigitte Minne & Carll Cneut
Éditions : l’école des loisirs, 2000 (pour l’édition originale)
ISBN : 9782211231534
8 à 11 ans

Pour aller plus loin avec les enfants

Tant de sujets peuvent être abordés à la lumière de cette allégorie. Nous savons qu’un enfant peut être également émerveillé par le pouvoir fascinateur des fées qu’attirer par les possibilités qu’offre l’avatar de la sorcière. Il est important de ne pas divorcer ces deux instances comme si elles s’excluaient ou comme si, dans un schéma fermement binaire, il fallait choisir. À l’instar de la fée sorcière, qui se joue des catégorisations, les enfants peuvent s’amuser à créer leur avatar en aboutant divers archétypes (pirate-princesse, sorcière-clown, chevalier-sirène) comme on bricole un personnage monstrueusement parfait pour soi. Petits monstres à deux, trois ou quatre têtes, ils gagneront beaucoup à ce jeu où les stéréotypes de chaque archétype s’annuleront au profit de ces juxtapositions euphoriquement contradictoires.

Psst ! J’ai acheté mon exemplaire à l’Euguélionne, librairie féministe à Montréal dont la sélection jeunesse est impeccable. Vous n’y trouverez que des livres non stéréotypés vendus par des libraires passionnées.

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Last modified: 27 février 2018

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