Me vois-tu?
Là, au milieu du champ?
Rongée par la rouille, sans roues, avec un seul phare, me vois-tu?

La belle histoire d’une vieille chose

La belle histoire d'une vieille choseC’est une bagnole – une vieille chose – qui nous interpelle ainsi. Elle veut raconter son histoire. Au fil des pages, elle égrène ses souvenirs sans pouvoir s’empêcher d’exprimer une pointe de regret face à cette époque révolue.

Les illustrations élimées, aux teintes sépia et turquoise, de Steve Adams créent une atmosphère rétro qui sied à merveille au récit nostalgique de la vieille voiture. Le jeu d’ombres et de lumières présenté dans un grand format attire l’oeil. La couleur bleutée de la « jeune » voiture contraste avec le fond ocre. Mais alors que le temps file et que la voiture gagne en âge – et en expérience -, sa carcasse rongée par la rouille se fond peu à peu dans le décor.

Un peu comme toutes ces vieilles choses qui habitent notre quotidien, mais que l’on finit par ne plus voir. C’est pour cette raison que le bolide insiste : « Me vois-tu? Me vois-tu vraiment? ». Louis Émond nous invite, avec cette histoire, à renouveler notre regard sur ce qui nous entoure. Il nous rappelle que lorsqu’on dépasse les apparences, on découvre que « tout a une histoire […] surtout les vieilles choses ».

Avec les élèves

Le temps qui passe, les souvenirs, la place que l’on fait aux vieilles choses – et aux personnes âgées – dans la société sont des thèmes peu abordés dans la littérature pour la jeunesse. Pourtant ces sujets sont d’une telle richesse, surtout quand ils suscitent de belles discussions familiales comme ce fut le cas pour les élèves de ma classe. Pour toutes ces raisons, j’ai utilisé cette histoire comme texte mentor pour le projet d’écriture présenté ci-dessous.

Mes élèves ont, d’abord, apporté divers objets de la maison : des jumelles militaires, un éteignoir à bougie, un portefeuille ancien, un collier africain, etc. Je leur ai ensuite présenté l’album et j’en ai fait la lecture à haute voix. J’avais à peine refermé le livre que certain-e-s trépignaient d’impatience à l’idée de me raconter la belle histoire de LEUR vieille chose. D’autres m’observaient avec angoisse, car ils ne savaient pas quoi raconter au sujet de leur objet.

La belle histoire d'une vieille chose

Je les ai tout de suite rassuré-e-s. Ils et elles avaient tous-tes une ressource inestimable pour narrer leur histoire : leur imagination. D’ailleurs, l’auteur ne connaissait pas réellement l’histoire de cette voiture. Il a imaginé ce récit lorsqu’il a vu la vieille carcasse d’une voiture abandonnée dans un champ de blé. J’ai donc invité mes élèves, comme l’avait fait Louis Émond avant eux, à regarder autrement l’objet qu’ils et elles avaient apporté de la maison pour découvrir ce qui le rendait beau et précieux.

Mais attention, pas si vite ! Avant de rédiger, nous avons relu l’histoire de Louis Émond pour découvrir ce qui rendait sa voix narrative si spéciale. Voici nos observations :

Ce que Louis Émond a fait pour que sa voix de narrateur soit si bonne dans La belle histoire d’une vieille chose :

◆  Il interpelle directement les lecteurs et lectrices.
→ Il pose des questions à la personne qui lit le texte et la tutoie : « Me vois-tu? / En fait, tu crois me voir. Mais tu ne me vois pas. »

◆  Il utilise la figure de style suivante : la prosopopée.
→ Il fait parler un objet comme si c’était un être vivant: « […] je sentais l’asphalte tiède sous mes pneus, le vent sur mon pare-brise. ».

◆  Il utilise des mots évocateurs.
→ Le vocabulaire nous permet de voir, de ressentir, d’imaginer le passage du temps : « rongée par la rouille », « ma carcasse est battue par les vents », « tas de tôle tordue, trouée, tachée », etc.

◆  Il nous fait ressentir une émotion complexe : la nostalgie.
→ Il partage ses souvenirs et exprime le regret du temps passé : « Les miles se sont ajoutés à mon compteur comme les souvenirs dans mon coeur. Je l’ignorais alors, mais je vivais mes plus grands moments de bonheur. Car la vie est la même pour tous. Et le temps n’épargne personne. ».

Le projet d’écriture

À la manière de Louis Émond (en reprenant les éléments énoncés plus haut), les élèves ont reçu la consigne d’écrire la belle histoire de leur vieille chose comme si cette dernière était un être vivant. Ils et elles devaient raconter son histoire avec le plus de détails possible en s’inspirant des réponses trouvées aux questions suivantes : Quand cet objet a-t-il été créé? Qui était son ancien propriétaire? Quelle utilité avait-il? Où a-t-il été trouvé et d’où vient-il? Quels sont ses rêves et ses aspirations? Qu’est-ce qui le rend précieux?

Je partage avec vous, en terminant, le texte de mon élève Ines. Vous constaterez que, du haut de ses 10 ans, cette jeune auteure a écrit un réel petit chef-d’oeuvre.

Me vois-tu ? Là dans ce sac avec plein d’autres comme moi. Inutile, fissurée le teint suranné. Me vois-tu ? En fait, tu crois me voir. Mais tu ne me vois pas. Pas vraiment. Je ne suis pas que cette roche misérable.

Je suis toujours le même caillou qu’Eliot a croisé sur son chemin il y a longtemps. Il s’est approché de moi, m’a ramassé. Il me trouvait tellement belle et unique en mon genre.

Une heure plus tard, je me retrouvais dans une chambre devant une bougie, avec plusieurs photos de famille un peu partout. Je me sentais moins seul pour la première fois.

Eliot était un vieil homme très sage. Jour après jour, il faisait sa prière devant moi. Sauf… quand il eut à aller à l’hôpital. Il ne se sentait pas bien. Il y resta cinq jours. À son retour, il allait beaucoup mieux. Même qu’il prit l’habitude de toujours venir me parler.

Quelques années plus tard (environ un an et demi), je ne compris pas vraiment ce qui se passait, mais je savais qu’on allait quelque part d’important, car Eliot et sa femme Fabienne, étaient très pressés. Puis, Eliot me prit et me mit dans son sac. J’y suis resté quatorze heures. Voilà pourquoi j’ai de vilaines égratignures. Arrivés à notre destination, j’ai enfin compris ce qui se passait…

Nous étions arrivées au Canada et c’est là que j’ai enfin compris qu’Eliot était devenu grand-père. Il m’avait emmené, car il voulait me donner à sa nouvelle petite fille, car il la trouvait tellement unique comme moi.

Elle s’appelait Ines […]. Ines finit par grandir puis me conserva dans un sac en plastique. Puis s’ajoutèrent d’autres roches à ce sac.

Alors me vois-tu ? Me vois-tu vraiment ? Je ne suis pas qu’une roche inutile. J’ai été une compagne à qui on pouvait confier tous ses secrets. Je rêve encore d’escapades aux mille merveilles.

La belle histoire d’une vieille chose
Louis Émond & Steve Adams
Éditions : de la Bagnole, 2016
ISBN : 9782897141776

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Last modified: 27 septembre 2017

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