Une page blanche, une ribambelle de « personnages – gribouillis », quelques traits de feutres aux couleurs vives et un dictateur tout-puissant, il n’en faut pas plus pour qu’Isabel Minhos Martins et Bernardo P. Carvalho nous bricolent une savoureuse fable sociopolitique qui plaira autant aux petit.e.s qu’aux grand.e.s ! L’album Halte on ne passe pas ! est un vrai bijou de livre ; un coup de coeur garanti !

Halte, on ne passe pas !

Un soldat posté devant une page blanche semble s’ennuyer. Un chien pointe alors le bout du nez, un passant approche, et soudain, alors qu’il poursuit son chemin vers la page droite, le soldat s’écrie : « Halte ! Désolé, mais il n’est pas permis de passer. ». Sonné, le passant se met alors à le questionner : « Mais… Mais pourquoi? Il y a danger de mort? Une invasion? Il va y avoir une manif? ». Le soldat répond : « Rien de tout cela. Mon général se réserve le droit de garder cette page en blanc pour pouvoir entrer dans l’histoire chaque fois qu’il le voudra. ». Alors que les passants s’accumulent sur la page gauche – astronaute, marchand de glaces, couple de danseurs, équipe de basket, prisonniers en cavale – la page droite reste, quant à elle, vierge, immaculée. Inévitablement, la colère se met alors à gronder chez les passants jusqu’à ce que le ballon des enfants traverse la frontière pour aboutir dans la zone interdite. Toutes et tous ont alors le souffle coupé… que se passera-t-il par la suite?

Crédit musique : www.bensound.com

Ce que j’en pense !

La simplicité est ici au rendez-vous et je peux vous assurer que l’idée, sans fioriture, saisit ! Le livre-objet est au coeur de la construction du récit. Le pli de la reliure devient une frontière symbolique protégée par un soldat qui applique rigoureusement les ordres qu’on lui a transmis. Les passants du récit se trouvent alors confinés sur la page de gauche ; leur amoncellement illustre, avec force, l’absurdité de la situation… et déclenchera assurément des fous rires. Nous nous retrouvons devant un « livre qui se joue du livre » (description de l’éditeur) ; un soldat benêt qui garde une page pour son général qui se résignera, au final, à abandonner cette histoire. De toute manière, « […] qui veut être le héros d’une histoire pour enfants? », dira-t-il en terminant. De nombreux clins d’oeil de la sorte parsèment l’ouvrage, densifiant ainsi sa portée symbolique.

Halte, on ne passe pas !

Voici alors un album qui ravira les parents au même titre que leurs enfants. Peut-être auront-ils même le goût, après la lecture, d’emprunter, comme moi, les crayons-feutres de leurs enfants pour gribouiller des personnages loufoques, sans prétention, inspirés des illustrations de Bernardo P. Carvalho? Ce dernier nous plonge dans un univers ludique, réjouissant, tout à fait désinvolte, qui se marie à merveille à l’histoire imaginée par l’auteure. À la manière d’un « Cherche et trouve », on s’attarde sur chacune des pages pour y identifier les personnes cocasses : un fantôme qui ne doit pas être en retard à son boulot, le petit chaperon rouge qui marmonne qu’elle ne doit pas parler aux inconnus, un extra-terrestre qui doit passer un coup de fil important ou encore un ours brun qui joue de la guitare électrique. Les dessins candides ne doivent néanmoins pas vous laisser l’impression trompeuse que le récit est simplet.

La valeur de ce livre réside, en fait, dans l’habileté avec laquelle l’auteure et l’illustrateur mettent en scène des sujets « sérieux », mais avec une grande joie et un brin de folie. Avec quelques traits de feutres et une page blanche, ils abordent des sujets tels que le pouvoir, la justice et l’obéissance. Ici encore, plus d’un degré de lecture est possible et, avec plus âgés, vous pourrez aborder des sujets politiques d’une brûlante actualité, tels que les questions de pouvoir totalitaire, de contrôle des frontières et de désobéissance civile. Examinons ensemble quelques pistes pour y arriver.

Halte, on ne passe pas !

Se dégourdir les neurones ! 

La lecture du livre Halte on ne passe pas ! est un excellent prétexte pour « se dégourdir les neurones ». Voici ainsi quelques questions qui pourront alimenter des discussions et des réflexions à visée philosophique sur quelques thématiques abordées dans le récit : le pouvoir, la justice et l’obéissance.

Le pouvoir

Dans l’histoire, le général donne des ordres au soldat et ce dernier les exécute docilement. Le général, par son statut, possède ainsi un certain pouvoir… mais qu’est-ce que le pouvoir?

  Qui possède, dans ton entourage, du pouvoir?
  Qu’est-ce qui fait que l’on a, ou pas?
  Qu’est-ce qu’un pouvoir légitime, c’est-à-dire juste et fondé? Et son contraire?
  Penses-tu que les gens qui ont du pouvoir ont/auront tendance à en abuser?
  Qu’est-ce qu’« abuser de son pouvoir » veut dire?

La justice et l’injustice 

Alors que le soldat applique à la lettre les ordres du général, les passants crient à l’injustice devant l’absurdité de la situation… mais qu’est-ce que la justice et l’injustice?

  Existe-t-il des petites et des grandes injustices?
  Qui décide de ce qui est juste et injuste?
  Tout le monde est-il capable de commettre une injustice?
  Comment réagir face à l’injustice?
  Comment savoir si un ordre est juste ou pas?

L’obéissance et la désobéissance

C’est le soldat qui a la responsabilité d’appliquer les ordres du général, qu’elles soient justes ou pas. Selon toi, doit-on toujours obéir à …
… son enseignant.e?
… ses parents?
… des étrangers?
… sa volonté?
… la loi?

Identifie des situations lors desquelles l’obéissance est souhaitable et d’autres situations où elle ne l’est pas pour chacun des cas énoncés plus haut.

Halte, on ne passe pas !

Pour prolonger l’expérience…

Les enfants ont-ils pu identifier des situations lors desquelles il semblait raisonnable d’obéir à la loi et d’autres où, au contraire, la désobéissance était à privilégier?

Au cours de l’histoire, des individus ont décidé de désobéir à des lois pour dénoncer des injustices. Ce faisant, ils ont commis ce que l’on nomme des actes de désobéissance civile ;  des actions non violentes, mais illégales, qui avaient comme objectif d’ébranler l’ordre établi pour faire valoir des revendications de nature démocratique. Ce concept a d’abord été développé par Henry David Thoreau qui a refusé, au 19e siècle, de payer des impôts en signe de protestation à l’esclavage et à la guerre. Depuis, de grand.e.s militant.e.s pour la justice sociale ont eu recours à des actes de désobéissance civile. Voici, en terminant, quelques ouvrages que vous pourrez lire avec les enfants sur le sujet et dont il a déjà été question chez Les p’tits mots-dits. Ces ouvrages présentent à la fois les motivations, mais aussi les conséquences de leurs actions :

→  Martin et Rosa. Martin Luther King et Rosa Parks, ensemble pour l’égalité ;

Malala, pour le droit des filles à l’éducation ;

Wangari Maathai ,la femme qui plante des millions d’arbres.

La littérature jeunesse recèle de mille et un trésors pour ouvrir nos horizons sur le monde. Pourquoi s’en priver? Commencez pour vous procurer Halte on ne passe pas !, un album « renversant » :

Halte on ne passe pas !
Isabel Minhos Martins & Bernardo P. Carvalho
Éditions : Notari (collection L’oiseau sur le rhino), 2015
ISBN : 9782940408856
5 ans et +

Pour acheter l’album coup de coeur Halte on ne passe pas !, c’est par ici :

Last modified: 9 mai 2016

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